Si vous êtes membre de notre réseau sur la bipolarité, vous connaissez certainement @gabrielle44, elle-même membre bipote ! C’est avec plaisir qu’elle a tenu à nous offrir son témoignage, sa propre expérience de vie avec sa maladie, sa différence, sa force à présent : sa maniaco-dépression ( trouble bipolaire ) … Une histoire détaillée où elle nous raconte sa vie professionnelle, familiale, ainsi que son avenir entremêlé des obligations et événements liés à sa bipolarité .
Ma bipolarité était ma force cachée …
J’ai 53 ans. Je suis bipolaire de type II. Mal dans ma peau depuis l’âge de 8 ans où je pense avoir connu ma première dépression, j’ai vécu jusqu’à 33 ans avec des hauts magnifiques d’hypomanie et des bas douloureux, des envies de suicide, une tentative de suicide à 16 ans et une autre à plus tard, des mises en danger en voiture, des dépenses, de l’irritabilité… Cette sensation d’être différente, en mal de vivre.
La naissance de mon fils a entraîné ma décision de voir un psychanalyste; je ne voulais en aucun cas lui faire ce cadeau empoisonné du poids de plusieurs générations de mal-être. La psychanalyse n’a pas suffi, mais elle a contribué à nettoyer cet inconscient transgénérationnel, ces traumatismes, et à me calmer…
Mon diagnostic
Les angoisses, les hauts, les bas et l’hyperémotivité étaient toujours présents. Mon médecin généraliste m’a envoyé 7 jours dans une clinique universitaire belge dans un service psychiatrique. J’y ai vu un professeur psychiatre pour la première fois de ma vie, on m’a fait des tests avec injection de cortisol et un électroencéphalogramme. J’y ai vu également un psychologue clinicien que m’a soumis pas mal de questionnaires…
La révélation : dans ce service, des gens comme moi, un notaire, une femme d’ouvrage, un professeur, une maman épuisée…. tous en souffrance.. Je n’étais pas seule.
Lors de ce séjour, ma bipolarité n’a pas été révélée, mais le fait que j’ai une tendance à tout intellectualiser, que j’ai des tendances dépressives, que je pourrais être borderline, etc…
À mon retour, j’ai cherché à rencontrer un psychiatre. J’en ai vu 3 avant de trouver ma psychiatre. Après une bonne année, elle m’a diagnostiqué maniaco-dépressive (on ne parlait pas de bipolarité à l’époque). Je n’ai pas compris de suite. On en parlait peu, même sur internet. Je lui ai fait confiance et ai pris mon traitement; qui a d’ailleurs changé plusieurs fois.
J’étais encore mal, mais moins souvent, parfois fatiguée où j’achetais 10 paires de chaussures (anecdote), entre autres. Je racontais TOUT à ma psychiatre, elle m’a demandé de ramener les chaussures. Je me suis exécutée. J’ai mis ma vie personnelle entre ses mains.
J’ai commencé à m’intéresser à ma maladie lorsque je me suis sentie stable . J’ai lu des livres (le premier : « Vivre avec un maniaco-dépressif » : Christian Gay). Ma reconnaissance envers ma psychiatre est énorme et elle n’a de cesse de me répéter « Madame X, c’est vous qui êtes courageuse » .
Ma vraie vie a commencé il y a 12 ans. Il y a eu l’avant :
- Souffrance et combat
- Stress
- Travailler sans compter pour éviter la pauvreté dans laquelle je suis née, mais travailler aussi à cause des phases hypomanes, angoisses extrêmes, questions, doutes…
Et il y a l’après :
- Je sais qui je suis
- Je me soigne et je sais pourquoi
- Je me vois autrement
- Je vois les autres différemment
- J’ai coupé tous les chaînons négatifs familiaux
Ma vie est enfin belle et intense…17 ans de psychanalyse-psychothérapie (terminée) et 13 ans chez ma psychiatre que je vois et verrai toute ma vie.
Ma famille et mes amis
Je n’en ai parlé à personne. J’ai caché cela au travail, je n’ai jamais eu d’amis(es), mais plutôt des connaissances…Certains pensent avoir beaucoup d’amis, pour moi ce terme à une grande importance : un ami écoute avec le cœur et on peut compter sur son soutien et son aide. J’ai aidé sans compter, mais on ne m’a jamais aidé car je donnais cette impression d’être invincible, car souvent en hypomanie. Je me suis débrouillée seule. J’ai appris il y a 5 ans que maman s’était renseignée et qu’elle savait. J’enlève ma carapace lorsque je suis avec elle tout en la protégeant. Papa sait, il a lu des documents que je lui ai soumis, surdoué et bipolaire non soigné lui-même, ce n’est pas évident d’en parler. De plus, celui-ci est autodidacte, politiquement connu durant des années, je suis « fille de… ». Donc, parler de ma bipolarité dans toute une région : IMPOSSIBLE.
Mon fils a suivi une thérapie dès l’âge de 7 ans suite à mon divorce et pour ainsi mieux lui expliquer la bipolarité avec des mots d’enfants de son âge (mon ex-mari n’a pas compris et est parti. Pour sa défense, j’ignorais de quel mal je souffrais à l’époque aussi) . Mon enfant, qui a 20 ans, sait et on en a toujours parlé librement. Il est fier de moi, de mon parcours. Il fait des études universitaires de … psychologie !
La gestion de ma maladie
Je gère ma vie : je prends mes médicaments, je n’ai JAMAIS stoppé le traitement (Maniprex – lithium) Xeroquel, Lamictal, Circadin) . Je vais au lit à heures régulières et mange sainement. Au début, je voyais ma psychiatre toutes les semaines durant 3 ans, puis tous les 15 jours, et depuis 3 ans, tous les 2-3 mois; et si je sens la venue d’un petit haut ou petit bas, je lui téléphone et elle me reçoit. Je connais tous mes prodromes. Pas d’alcool, pas de drogue, pas de café, pas de coca…
J’ai déménagé dans un endroit calme, dans la nature, au bord de l’eau. Je promène mon chien, prends des photos, j’ai créé un potager, j’ai toujours beaucoup voyagé à travers le monde et je prépare un voyage en Nouvelle Zélande. Avant, je ne faisais pas d’escales, je visitais rapidement. A ce jour, des escales, à mon rythme, je prends le temps de visiter.
Je prends le temps de VIVRE. J’évite le stress et le sens venir. Je m’informe encore et toujours sur la maladie.
J’ai aimé les phases hypomanes car tout me réussissait, elles me manquent parfois . Toutefois, lorsque j’analyse, tout me réussit maintenant aussi, mais plus sereinement, plus lentement; c’est moins exaltant, mais tellement rassurant. Je préfère prendre mon traitement toute ma vie que redevenir celle d’avant. Ce fut, avec le recul, un cauchemar…
Ma vie professionnelle et mes finances
Je suis pensionnée invalide. Je suis belge ayant travaillé au Luxembourg. Le système y est différent qu’en France.
J’ai travaillé sans limites. Stress total, responsabilités, polyglotte. J’en redemandais. Second travail, commerciale le soir. Une bombe. J’ai gagné beaucoup d’argent tellement j’en ai manqué, mais aussi car exaltée. J’ai dépensé. Heureusement tellement gagné que je n’ai jamais été endettée.
A ce jour, je ne pourrais plus travailler , besoin vital de calme, de me reposer en cas de besoin, de me poser. Plus de dépenses; C’est l’inverse. J’ai appris à éviter tant que possible tout stress.
J’ai donné des cours d’arts plastiques dans un centre GEM ( Groupe d’Entraide Mutuelle ) à des personnes bipolaires et schizophrènes. Un an de bénévolat qui m’a fatigué. J’ai peint, j’ai donné des cours d’allemand à mon rythme à des enfants par groupes de 8 durant quelques années chez moi et ce, de façon très ludique…. Bénévolat en cours d’allemand dans des écoles. Un plaisir.
Je suis toujours à la quête de passions car je me lasse vite, ce fait ne changera jamais.
Ma vision de l’avenir
Je suis stable depuis 11 ans . Fière d’être bipolaire. Fière de cette créativité, de cette différence, de celle que je suis. Ma vie est intense.
Dans 5 ans et plus, je me vois faire des conférences sur la bipolarité et écrire un livre sur ma vie (qui vaut le détour, faite de souffrances terribles, de combats, d’intensité, de pauvreté, de retournement de situation : une richesse) ou sur la bipolarité. Je prends des notes au quotidien et me renseigne.
Dans 10 ans, je me vois en Australie (que je connais très bien) 6 mois et 6 mois en Belgique ou en France.
Pour moi, il y a 1000 façons de mourir, ce qui compte c’est de trouver le moyen de vivre. La vie pour moi, c’est l’Art du Possible….
Gabrielle

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