Vous êtes furax. 

Pourtant, tout se passait bien. 

Le feeling était présent au rendez-vous, la bière était bonne...

Vous étiez si bien que vous avez même pris les choses en main en dévoilant votre trouble bipolaire. 

Pourtant, ce n'étais que le deuxième rencart. 

Mais vous vous sentiez à l'aise. 

Sauf que. 

La personne en face de vous vous a posé cette question des plus étrange : 

"Ducoup, ça veut dire que t'es considéré comme fou, non ? Ou alors tu es juste colérique ?"

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Arf. 

Que répondre face à ça ? 

Ce n'est pas la première fois que l'on vous pose des questions étranges sur votre trouble bipolaire. 

D'ailleurs, j'en ai sélectionné sept, qui vaille le coup d'être lues, mais surtout, d'y être répondues.

1. Combien coûte le trouble bipolaire ?

Le Dr Dardennes a publié en 2006 une synthèse qui met en évidence le coût très élevé du trouble bipolaire. Le coût des soins (hospitalisations, traitements, consultations), dit « coût direct », représenterait à lui seul environ 2000 euros par patient et par an, soit au total plus d’un milliard d'euros par an en France. Ce coût est bien entendu variable d'un individu à l’autre en fonction de la sévérité de la maladie.

Pour les patients bénéficiant de l'Affection de longue Durée (ALD, par la Sécurité sociale), ces dépenses devraient être prises en charge à 100 % par l'assurance-maladie. Mais même dans ce cas, une partie des dépenses est tout de même à la charge des malades, comme le forfait hospitalier. 

Cependant, ces coûts directs ne constituent que la partie émergée de l’iceberg. Il faut leur additionner les « coûts indirects », dont on estime qu'ils représentent jusqu'à 80 % du coût total de la maladie. On appelle « coûts indirects » la perte de revenus pour les patients (arrêts maladie, voire perte d'emploi), mais aussi la baisse de productivité pour l'employer ou encore le temps passé par la famille à s’occuper du patient. 

Au total, l'estimation du coût indirect annuel par patient se situe dans une fourchette entre 10000 et 15000 euros, soit en France un coût par habitant de plus de 100 euros par an. Ces sommes impressionnantes doivent nous encourager à renforcer les efforts de prévention, infiniment plus économiques. 

À celles-ci s'ajoutent les coûts « immatériels du trouble ». La souffrance psychique liée à la maladie, à sa stigmatisation, et aux retentissements personnels, familiaux et professionnels.

2. Le trouble bipolaire, un phénomène de mode ?

Non, le trouble bipolaire n'est pas un phénomène de mode, c'est une réalité clinique. Mais il convient de ne pas l'appliquer à tort à tout trouble du comportement. 

Le diagnostic de trouble bipolaire est un concept récent. En effet, autrefois appelé maladie maniaco-dépressive et auparavant non individualisé en tant que maladie, c'est désormais une maladie dont on parle beaucoup. 

Certains psychiatres voient dans le trouble bipolaire un véritable « phénomène de mode », une entité psychiatrique qui serait trop souvent utilisée pour expliquer les sautes d'humeur ou l’irritabilité d'un individu. 

À partir des actuels critères diagnostics de trouble bipolaire, certains auteurs ont estimé, de façon rétrospective, à 0,001 % la prévalence du trouble en population générale à la fin du XIXe siècle contre environ 1 % actuellement. 

Serions-nous tous en train de devenir bipolaires ? 

Malgré les limites de telles estimations de prévalence a posteriori et l’évolution des critères diagnostics, on peut s'interroger sur la place grandissante du trouble bipolaire dans une société où toute déviance avec la norme est très vite considérée comme une maladie. 

N'aurions-nous pas tendance à vouloir expliquer tout trouble du comportement de l'enfant (type hyperactivité), toute réaction « caractérielle » de l'adulte, toute irritabilité de la personne âgée par un diagnostic de trouble bipolaire ? 

Si le trouble bipolaire est une entité psychiatrique réelle et handicapante, il convient cependant d'être prudent dans son diagnostic. Il importe certes de pouvoir l'affirmer chez les patients présentant de réels symptômes de troubles de l'humeur, mais est également fondamental de ne pas établir de diagnostic de trouble bipolaire par excès, avec toutes les conséquences en termes de traitement et d'organisation familiale, sociale et professionnelle qu'il implique. 

N'oublions pas qu'il existe de nombreuses autres causes de variations de l'humeur et de troubles du comportement que la maladie bipolaire, et conservons ainsi au diagnostic de trouble bipolaire toute sa particularité, toute sa signification et toutes ses implications en évitant de l'utiliser comme un « outil social ».

trouble bipolaire

3. Existe-t-il des psychiatres qui souffrent de trouble bipolaire ?

Oui : le trouble bipolaire touchant environ 1 % de la population, pourquoi les psychiatres seraient-ils épargnés ? 

Le Dr Kay Redfield Jamison en donne un exemple admirable dans son livre De l'exaltation à la dépression. Confession d'une psychiatre maniaco-dépressive. Ce professeur de psychiatrie à la très prestigieuse Johns Hopkins University (Baltimore, États-Unis) souffre elle-même de trouble bipolaire, sujet dont elle est un expert mondialement reconnu. Son livre est non seulement très bien écrit, mais livre aussi un témoignage émouvant de la solitude liée au trouble bipolaire de l'exaltation enivrante des épisodes maniaques à la souffrance dépressive, des épisodes de violence aux tentatives de suicide. 

Sa connaissance approfondie de la maladie ne l'a pas empêchée de stopper son traitement à plusieurs reprises, conduisant systématiquement à des rechutes. Elle souligne d'ailleurs l'importance pour les médecins de ne pas s'en tenir qu’aux médicaments pour soigner le trouble. 

Elle n'a révélé souffrir de trouble bipolaire que bien après avoir été reconnue comme une experte de renommée internationale, et cela l’a conduit à certains aménagements dans sa carrière. Notamment, elle a renoncé à suivre des patients en consultation. Mais elle continue à travailler sur le trouble bipolaire et à essayer de diminuer la stigmatisation qui lui est associée. 

D'une manière générale, les troubles psychiatriques sont fréquents parmi les professionnels de santé, notamment la dépression. Le trouble bipolaire est probablement plus rare. 

Même s'il est bien entendu inconcevable qu'un psychiatre en plein épisode maniaque ou dépressif sévère puisse exercer, il n'y a pas de raison, si sa pathologie est bien équilibrée et comme tout professionnel, qu'il ne puisse pas reprendre son activité.

4. J'ai entendu dire que le trouble bipolaire n'était qu'une invention de la société pour maintenir l'ordre social. Est-ce vrai ?

Non, même si au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les psychiatres ont pris conscience des limites et parfois de la violence liées à "l'enfermement des fous" dans les asiles. 

L'idée que la psychiatrie serait un instrument de pouvoir politique et non une institution médicale a alors donné naissance à un courant de pensée appelé antipsychiatrie. Ce courant affirme que les troubles psychiatriques seraient une construction de la société pour contrôler les sujets qui ne « rentreraient pas dans le rang » et qui questionneraient la société par leurs troubles du comportement. 

Selon cette théorie, la psychiatrie chercherait donc plus à protéger le confort de la société, que la personne qui présente les troubles. Parmi les théories de l'antipsychiatrie, il y a aussi l'idée que c'est l'asile qui crée la folie. Ces théories sont certes nées en réaction à la violence de l’institution asilaire de la fin du XX siècle et du début du Xe siècle. Mais en voulant supprimer tous les hôpitaux psychiatriques, ou en niant l'existence même de la maladie mentale, elles sont probablement allées trop loin. 

Par exemple, la fermeture de la majorité des lits de psychiatrie en Italie a conduit à ce que de nombreux patients se retrouvent livrés à eux-mêmes, sans lieu de vie et sans soins. Les théories de l'antipsychiatrie sont parfois détournées de leur essence (celle d'un questionnement des pratiques et de la psychiatrie en général) par certains mouvements que l'on peut considérer comme « sectaires » qui les reprennent pour recruter des membres. Le risque est de présenter les usagers de la psychiatrie comme des victimes de celle-ci, quitte à nier la souffrance des patients. 

S'il est toujours important de questionner la validité des théories et des pratiques psychiatriques, il nous semble qu'il convient de garder une certaine raison et une attitude soignante : un patient souffrant de trouble bipolaire doit en effet avoir la possibilité de trouver sa place dans la société, mais pas aux dépens des soins. 

L'objectif de la psychiatrie d’aider le patient à retrouver son autonomie ne passe pas par la négation d’une pathologie ou des soins.

maladie bipolaire

5. Peut-on souffrir, en plus du trouble bipolaire, d'un autre trouble psychiatrique?

Oui, car malheureusement la foudre semble tomber parfois deux fois au même endroit, et les trois quarts des patients souffrant de trouble bipolaire présenteraient à un moment de leur vie au moins un autre trouble psychiatrique. 

On parle dans ce cas de comorbidité (coexistence de plusieurs maladies chez un même individu). De plus, la moitié de ces patients seraient affectés d'au moins trois troubles. 

On peut noter que les patients souffrant de trouble bipolaire de type I et II présentent plus fréquemment ces comorbidités que ceux atteints de formes « atténuées ». Les troubles anxieux sont les plus fréquents puisque deux tiers des patients en souffrent à un moment de leur vie. 

Plus particulièrement, des attaques de panique, un trouble anxieux généralisé (niveau d’anxiété élevé en permanence), une phobie sociale (peur de prendre la parole en public) ou spécifique (peur centrée sur un objet ou une situation en particulier), ou encore un état de stress post-traumatique sont présents chez 20 à 30 % des patients à un moment de leur vie. 

De même, la moitié des patients présentent un trouble du comportement, comme le trouble hyperactif avec déficit de l’attention. 

Enfin, l'association entre troubles bipolaires et addictions est fréquente (un tiers des patients). 

Ces comorbidités psychiatriques compliquent le diagnostic si elles surviennent tôt dans l'histoire de la maladie. Lorsqu'elles surviennent alors que le diagnostic est déjà posé, il est souvent délicat de faire la part de choses entre des symptômes liés à la maladie et un autre trouble associé. 

Elles rendent donc la prise en charge plus complexe.

trouble bipolaire

6. Est-ce de la faute des familles si un de leurs membres souffre de trouble bipolaire ?

Non. S'il peut arriver que les patients ou leur entourage se questionnent sur leur responsabilité dans la survenue de la maladie, on pense actuellement que le trouble bipolaire se développe chez un individu qui regroupe un ensemble de conditions « défavorables » : une vulnérabilité biologique, associée à des facteurs environnementaux et des événements de vie stressants. 

Les études sur l'influence des familles dans la genèse du trouble ont produit de résultats contradictoires, et il n'est actuellement pas possible de conclure à la responsabilité d'un dysfonctionnement familial dans l'apparition du trouble bipolaire. 

Cependant, si l'attitude de l'entourage n'est pas la cause de l’apparition de la maladie, le niveau de fonctionnement des patients une fois la maladie déclarée dépend en partie de celle-ci. 

En effet, la perception par le patient du support social il dont il bénéficie d'une part, et les attitudes des membres de la famille ou des amis d'autre part, représentent des facteurs influençant significativement la capacité à gérer le quotidien des patients souffrant de trouble bipolaire. 

On ne peut donc qu'encourager les familles à essayer de comprendre les symptômes et la prise en charge du trouble bipolaire. 

Dans certains cas, une réflexion sur la dynamique familiale, éventuellement avec l'aide d'un professionnel de santé, peut s'avérer utile. 

En effet, même si la famille n'est pas la cause du trouble bipolaire, l'équilibre familial est bien fréquemment perturbé par l'apparition de la maladie.

bipoly

Les patients souffrant de trouble bipolaire sont-ils dangereux ?

Il est vrai que le taux de violence (meurtres, agressions y compris sexuelles, vols, menaces) est plus élevé dans les populations de patients souffrant de trouble bipolaire (8 %) que dans la population générale (environ 4 %). 

De plus, un petit nombre de faits divers tragiques, mais fortement médiatisés, et les commentaires qui les accompagnent véhiculent l’idée selon laquelle les patients souffrant de troubles psychiatriques représentent une population à part et potentiellement dangereuse. 

Ces informations doivent être replacées dans leur contexte. 

Premièrement, ces violences ne surviennent que chez une petite minorité de patients. 

Deuxièmement, la principale explication de cette augmentation de violences est l'abus de substances comme l'alcool ou d'autres drogues, qui est malheureusement fréquent dans le trouble bipolaire. 

Enfin, ces rares épisodes de violence ne surviennent qu'exceptionnellement sans signes d'alarme et en dehors d'un épisode aigu. L’humeur irritable de la manie, quand elle est associée à des idées délirantes de tonalité persécutrice, peut conduire à des passages à l'acte violents. Il s'agit donc d'un tout autre contexte que celui d'un patient stabilisé. 

Au total, l'abus de substances et l'arrêt des traitements sont les deux principales causes de violences des patients souffrant de trouble bipolaire, et cette violence ne survient que chez une petite minorité de patients. 

Un suivi régulier pour assurer une prise en charge optimale est donc indispensable. Rappelons également que les patients souffrant de troubles psychiatriques sont bien plus souvent victimes d'actes violents qu’ils en sont les auteurs. 

Assimiler trouble psychiatrique et violence n’est donc aucunement justifié.

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