Voici le témoignage d’une personne qui a souhaité rester anonyme . C’est un véritable récit détaillé de sa vie avant et après son diagnostic de trouble bipolaire . Adolescence, vie sociale, vie professionnelle, vie familiale, sa bipolarité est présente dans toutes les étapes importantes de sa vie . Entre culpabilité et recul sur sa maladie, voici son témoignage …
Un avant et un après diagnostic …
Je me doutais de la présence de la maladie depuis environ douze ans. Je voyais mes hausses d’humeur tous les automnes et les périodes de déprime chaque hiver. Je m’engageais dans plein de projets pour ne jamais rien terminer. Avec le diagnostic, une relecture de ma vie me fait prendre conscience que cette maladie est là depuis ma toute jeunesse.
J’ai toujours eu la profonde sensation d’être différent. Jeune, j’étais très sensible. Je gardais mes distances avec les autres pour me protéger. À l’école, j’étais souvent agacé par les remarques parce que ça me blessait même si la remarque semblait anodine. Ayant un problème d’attention assez important, mon parcours scolaire au primaire a été plutôt difficile.
Arrivée au secondaire, je deviens, contre toute attente, premier de la classe et apprécié de mes camarades. Je plais même assez aux filles que je remarque vraiment pour la première fois. Très timide, je demeure plutôt discret. À l’adolescence, des périodes d’hypothymie apparaissent. Je sors parfois 3 à 4 fois semaines dans les bars. Je bois beaucoup. Il m’est arrivé de passer des nuits blanches à boire et à fêter et ensuite d’aller travailler le lendemain comme si de rien n’était. D’ailleurs, depuis ce temps, je ne dors que très peu, trop peu.
Au début de l’âge adulte, je ne sais quoi faire de ma vie. Je fais toute sorte de travail. À un certain moment, je commence à avoir des idées suicidaires. Je ne veux pas vivre comme ca; toujours malheureux. Je demeure dans une grande ville, loin de ma région d’origine. Je me sens atrocement seul. Habitant près d’un canal maritime, je me dis que je pourrais m’y jeter avec une pierre attachée au cou; personne ne me retrouverait. J’imagine le même scénario dans une marina près de chez-moi. À ce moment, j’ai 19 ans. J’ai une maladie cardiaque grave qui, en fait, va me sauver la vie.
Pendant cette période très trouble, je fais une crise d’arythmie très grave. Je dois être hospitalisé d’urgence. La seule option est la chirurgie. J’accepte. Une psychologue passe pour évaluer mon état psychologique, mais je ne dis rien.
Tout va bien. Je ne dis rien. J’ai honte de mon état. Je ne veux surtout pas qu’on sache que j’ai voulu mettre fin à mes jours.
Quelques jours plus tard, mes proches sont à mon chevet et la chirurgie a lieu. Cette opération me sauve la vie et réparant mon problème cardiaque. Je me retourne dans ma région, chez-moi, en convalescence. Toute idée de mort a disparu. Je pense avoir fait une période d’hypomanie à ce moment. Je dors très peu, je suis plein d’énergie malgré une chirurgie au cœur récente. Quelques jours à peine après cette lourde opération, je me promène en quad dans les bois en prenant quelques risques. Je me sens dans une forme comme jamais auparavant.
Peu de temps après cet épisode, je rencontre la femme qui partage encore ma vie aujourd’hui. Nous avons trois enfants et malgré quelques soucis de la vie, tout va plutôt bien. J’ai une vie professionnelle bien remplie. Je travaille dans le domaine de la santé, avec des médecins et psychiatres. J’apprends à ce moment ce qu’est le trouble bipolaire qui, soudain, éclaire une partie de ce que je vis en silence, dans mon intérieur parfois assez trouble. Comme je suis devenu maître dans l’art de cacher mon malaise, rien ne parait.
Toutefois, la maladie me tourmente de plus en plus. J’arrive de plus en plus difficilement à compenser mes hauts et mes bas sans que rien me paraisse. Et puis arrive l’événement qui bouleversera ma vie. Au moment d’une promotion importante à un poste de directeur, je suis propulsé en hypomanie très forte. Ma pensée se désorganise et je n’arrive plus à faire mon travail. Je demande une rétrogradation pensant que je ne suis pas à la hauteur, mais les problèmes persistent. Je traverse une période très instable ou mon humeur change d’une journée à l’autre et même dans une même journée. Certains collègues tentent de me faire comprendre que ca ne va pas, mais je les ignore, pensant que comme à l’habitude, ça va revenir et je vais redevenir cette personne très performante que j’ai toujours été.
Mais ça ne vient pas. Je déprime sérieusement. Je ne dors presque plus et je suis très fatigué. Je suis instable, passant rapidement de la bonne humeur à la profonde déprime voire même aux idées de mort qui revienne. En voiture, je pense à me jeter devant un camion à pleine vitesse. Il est certain que je n’y survivrais pas. Je serais libéré de cette souffrance qui m’habite et que je m’arrive plus à gérer comme avant. C’est là, qu’un beau jour, en revenant du travail, je suis tourmenté par mes idées de mort et dans un état d’extrême fatigue. Je suis distrait par une voiture qui me suit de très près, je n’ai pas vu la camionnette qui vient en sens inverse et c’est l’accident. Un face-à-face très violent juste devant mon domicile.
Par miracle, je ne suis pas blessé sérieusement. J’en garderai cependant des douleurs diffuses permanentes, surtout au dos et aux genoux. Quelques jours après l’accident, je vais vraiment très bien. Ça y est, c’est reparti. Je demande mon retour au travail qui m’est accordé. Mais ça ne dure pas. Les douleurs physiques s’intensifient et je replonge dans la dépression. Je quitte le travail à peine 2 semaines après mon retour. Cette fois, c’est une crise de panique qui provoque mon départ. Je vois bien que ça ne va pas du tout. Je prends rendez-vous avec la psychologue du programme d’aide aux employés. Celle-ci voyant mon état, avec mon accord, contacte mon médecin pour que j’aie un rendez-vous rapidement. Elle pense que je suis en dépression majeure et que j’ai besoin de soins médicaux.
Après ma visite chez le médecin, il diagnostique effectivement une dépression majeure.
Je passe quelques semaines comme une larve dans mon domicile. Tout ce que j’arrive à faire, c’est de passer de mon lit à mon divan et inversement.
À ma deuxième visite chez le médecin, je lui parle de ma suspicion de la présence du trouble bipolaire et je lui demande de voir un psychiatre. Je demande alors à un psychiatre, que je connais bien et en qui j’ai confiance, de me recevoir. Cette rencontre changera à jamais le cours de ma vie. Après un long entretien où je lui fais part de mes observations et où je réponds à ses questions en explorant un grand pan de ma vie, il ne fait aucun doute pour lui, et moi non plus d’ailleurs, il émet un diagnostic de trouble bipolaire de type 2 . L’accident de voiture qui a passé bien près de me coûter la vie me l’aura en fait sauvé. Le premier thymorégulateur qui m’est prescrit me fait un bien énorme sans aucun effet secondaire. Je cesse tout autre médication sauf celle pour les douleurs. Mon état s’améliore rapidement, les douleurs diminuent rapidement à un seuil tolérable de sorte que je ne prends plus que des analgésiques occasionnellement.
Le diagnostic est un soulagement. Je comprends enfin ce qui m’arrive. Je suis plutôt heureux de ce dénouement.
Mais encore une fois, la vie me ramène les pieds fermement sur terre. Je commence à voir la réalité comme elle est vraiment. Je rééxplore mon passé pour constater que j’ai fait du tort à bien des gens dans les différentes phases de ma maladie et je m’en veux beaucoup. Je vais tenter de réparer quelques-une des blessures que j’ai causé. J’ai rencontré quelques personnes à qui j’ai raconté brièvement mon histoire et à lesquelles j’ai demandé pardon. J’ai été très bien reçu et ces personnes ont été très compréhensive. Je leur en suis très reconnaissant.
Le plus difficile fut avec ma conjointe. Je lui ai fait vivre bien des peines et misères. Lorsque j’ai eu la force de lui demander comment elle avait vécu ces événements depuis que nous sommes ensemble, son récit a été très difficile à entendre. Un sentiment de grande culpabilité s’est installé en moi.
Comment avais-je bien pu faire cela à la personne que j’aime le plus au monde?…
Cette jeune femme magnifique, douce, charmante et intelligente ne méritait pas ça. J’ai l’impression que je ne la mérite pas. Je me demande aussi ce que j’ai bien pu faire vivre a mes enfants. Je ne leur en ai jamais parlé. Ma bien-aimée a été plus que soutenante. Nous nous sommes donné du temps pour réparer ce qui avait été brisé. La confiance est revenue et nous sommes redevenus complices comme aux premiers jours, mais rien n’est plus pareil. Je dois réapprendre à aimer et à être aimé. Je dois réapprendre à interagir avec mes proches. Ce que j’ai été n’est plus. J’ai perdu mes repères.
Le chemin est long pour réapprivoiser la vie. Encore aujourd’hui, je dois être vigilant et j’apprends encore. La vie ne sera plus jamais la même, mais elle est plus belle que jamais. Elle est plus vraie. Rien n’est parfait. La maladie ne me donne que peu d’intervalle libre, mais j’arrive à compenser et à mener une vie assez équilibrée. Là, en ce moment, je viens de traverser un épisode de dépression de 2 mois suite à un épuisement professionnel. Je reprends le travail progressivement.
J’aborde la vie très différemment. J’ai parlé ouvertement de ma maladie à mes amis proches, à ma famille et aussi à mes patrons. Il m’arrive d’en parler avec un de mes employés qui traverse une période difficile pour lui montrer que, malgré les difficultés, avec de l’aide et de la patience, on peut y arriver.
Bien que j’essaie de vivre au jour le jour, l’avenir me fait parfois peur. Je ne sais pas comment va évoluer cette maladie. Est-ce que je vais être en mesure de poursuivre ma carrière professionnelle encore longtemps ? Comment vais-je vieillir ? Il y a maintenant cinq ans que le diagnostic a été établi et je n’ai eu qu’un arrêt de travail. La médication ne fait pas tout. Elle me permet de limiter les montées et les descentes, mais je dois composer avec ce yoyo quasi-incessant. J’ai un équilibre imparfait, mais suffisant pour pouvoir vivre sereinement.
En écrivant ce témoignage, j’espère que ca pourra redonner de l’espoir à d’autres personnes dont le cheminement est plus difficile.

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